L'envol du corbeau

Tout était calme, dans le temple d'Elune.

L'heure était avancée, et peu à peu les Soeurs d'Elune quittaient l'édifice, pour se rendre dans leurs quartiers.
Après avoir réglé quelques affaires, Tyrande Murmevent vint s'agenouiller devant l'autel de la Déesse. Silencieuse, elle prit le temps de prier celle à qui elle avait consacré sa vie.

Sa prière achevée, elle soupira.

Les nouvelles étaient alarmantes. Et le soutien d'Elune ne serait pas de trop.

Un vent léger s'engouffra dans le temple par l'une des immenses fenêtres de l'édifice.

Tyrande ferma les yeux, esquissant un sourire.

"Cela faisait si longtemps que tu n'étais venue...
- Il faut savoir disparaître pour mieux revenir à la lueur du jour."

La Grande Prêtresse se redressa, et se retourna lentement. Face à elle, vêtue d'une tenue de cuir noir, une elfe lui faisait face. Ses cheveux bleus comme le ciel nocturne de Teldrassil étaient noués en une queue de cheval pour ne pas gêner ses mouvements ou son champ de vision. A sa ceinture se trouvaient deux lames. Des lames assez communes, au final, à un détail près : à la base de chacune des lames, un corbeau aux ailes déployées, comme s'il prenait son envol, était gravé.

"J'ai senti que vous aviez besoin de moi, Dame. Alors je suis venue. Que puis-je pour vous ?
- Eh bien... bien qu'elles ne touchent pas directement nos terres, certaines nouvelles m'inquiètent. Les événements qui se passent dans les terres humaines sont loin d'être rassurants.
- Mmh ?
- Mon amie Jaina Portvaillant m'a rapporté bien des choses en provenance des Royaumes de l'Est. Des rumeurs troublantes...
- N'en dites pas plus."

Le regard d'acier de l'elfe drapée de noir croisa les yeux d'argents de la Messagère d'Elune.

"Les informations que vous avez semblent imprécises. Vous parlez de rumeurs... mais une rumeur ne vaut rien. Seuls les faits importent. Néanmoins, il est certain que de nombreuses choses se déroulent dans les terres orientales..."

Tyrande esquissa un sourire rassuré. Elle savait déjà à quoi tout cela mènerait.

"Jusqu'à sa disparition, Aviana fut La Messagère, les yeux et les oreilles d'Elune. Je serais une bien piètre suivante si je ne m'acquittais pas de la tâche de celle qui fut ma maîtresse."

La mystérieuse elfe hocha la tête d'un air entendu.

"Merci... merci beaucoup, chère amie. Prends contact avec les services spéciaux de Hurlevent.
- Le SI:7... on m'en a dit beaucoup de bien. Leurs méthodes sont proches des miennes.
- Je te fais confiance. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à me le faire savoir.
- Dois-je comprendre que je suis désormais officiellement promue au rang d'agent de liaison entre Darnassus et Hurlevent ?
- Mmh... oui... c'est le terme qui convient."

La Grande Prêtresse d'Elune adressa un sourire à son interlocutrice.

"Je ne vous décevrai pas, Dame Tyrande...
- Je le sais. Allez... va, Lame d'Aviana. Prends ton envol !"

Hochant la tête, la mystérieuse elfe fit un pas en arrière avant de disparaître, comme happée par les ombres.

A la faveur de la nuit, comme elle en avait l'habitude, l'elfe vêtue de noir posa le pied sur le quai de Rut'theran. Un regard rapide jeté à sa montre à gousset lui permit de constater qu'il ne faudrait attendre que quelques minutes pour que le bâteau arrive.

Un coup de vent vint écarter les pans de sa cape dans un claquement sonore. Elle esquissa un sourire presque imperceptible.

"Je sais que votre esprit m'accompagne, Maîtresse... pas besoin de me le faire savoir" souffla-t-elle dans un murmure, refermant de nouveau sa cape sur elle.

Puis le navire elfique arriva. Délaissant le ponton, elle passa sur le pont du bâteau, saluant d'un signe de la tête une sentinelle de sa connaissance qui assurait la garde sur le navire.

Le trajet jusqu'à Auberdine fut court et sans embuches. La mer voilée était calme, si calme qu'on eut cru voguer sur une mer d'huile.

Une fois le bâteau arrivé à quai, elle ne s'attarda pas et marcha rapidement en direction d'un autre embarcadère, à destination de Menethil.

Cet autre bâteau mit plus de temps à arriver qu'à l'accoutumée. Intérieurement, l'elfe songeait que la ponctualité n'était pas l'apanage des navigateurs humains. Et lorsqu'enfin l'embarcation arriva, et qu'elle monta sur le pont, l'équipage la détailla d'un air méfiant.

Elle ne s'en formalisa pas et patienta jusqu'à arriver à Menethil. Le trajet fut moins évident cette fois-ci. Le vent avait fait défaut sur le trajet alors que le navigateur informait le capitaine qu'il avait mal calculé le cap à prendre, et qu'ils étaient trop proches des limites de la zone de sécurité définie par les navigateurs autour du Maelstrom. Le capitaine fulmina après avoir ordonné à son équipage de mettre en route un appareillage gobelin pour se tirer de là. Le prix du rhum explosif était en constante augmentation depuis que ce carburant était connu du public comme un alcool aux arômes "intéressants".

Ce fut donc grâce à un moteur au fonctionnement assez approximatif que le navire atteignit le port de Menethil, où l'elfe s'empressa de rejoindre le maître griffonnier.

"Un griffon pour Hurlevent... vite. avait-elle soufflé.
- Euh, hum... vous savez comment y aller, au moins ? Par voie aérienne, j'entends.
- Je trouverai bien.
- Je ne vais pas pouvoir vous laisser prendre l'une de mes bêtes si vous ignorez le trajet... savez-vous monter au moins ?
- Je suis experte pour chevaucher les hippogriffes.
- Oui mais attention, hein... ce ne sont pas des hippogriffes là, et vous feriez mieux de ne pas comparer griffons et hippogriffes... pas mal de nains passent dans le coin, et il suffirait qu'un nain des Hinterlands passe dans les environs et vous entende pour qu'il se vexe, je pourrais le parier."

L'un des pans de la cape de l'elfe s'écarta, dévoilant l'une de ses lames, qui semblait étrangement pouvoir être très facilement dégainée... enfin, peut-être que cette impression était le résultat de la main de l'elfe posée sur le manche de la dague.

"J'ai dit 'vite'...
- Bon, bon, d'accord... mais voler ainsi sans connaître les voies aériennes, il vous en coûtera une caution supplémentaire !"

Tirant sa bourse hors de sa ceinture, elle la lâcha aux pieds du griffonnier, avant d'aller enfourcher sans préavis l'un des griffons.

"Eh mais...!
- Regarde le contenu avant de te plaindre. lança la Lame d'Aviana, avant de lancer à sa monture l'ordre de décoller."

Et quelle ne fut pas la surprise du griffonnier, lorsqu'ouvrant la bourse, il trouva de quoi assurer les soins d'un griffon pendant tout un mois.

**********

Le trajet aérien se déroula sans le moindre mal. L'elfe était une habituée des airs, c'était comme une seconde nature. Cela tenait sans doute à l'affiliation de sa famille depuis de longues décennies.

Lorsqu'elle arriva à Hurlevent, le jour se levait à peine.

Réfléchissant un instant, elle songea qu'il serait préférable de prendre une chambre dans une auberge pour la journée plutôt que de se consacrer de jour à ses affaires...

Dans certaines contrées, il aurait pu paraître étrange de prendre une chambre pour la journée. Mais lorsque l'on fréquente des elfes de façon assez régulière, ça n'a rien de particulier. Beaucoup d'elfes sont des noctambules, après tout... c'est sans doute pour ça qu'ils sont appelés elfes de la nuit.

Telles étaient les pensées d'un petit aubergiste du quartier de la Vieille Ville tandis que face à lui, une elfe louait une chambre en signant sur le registre d'un nom dont il ignorait qu'il n'était pas vrai. En même temps, la somme rondelette versée par cette sombre elfe entraînait ses pensées loin de toute intention de vérification.

Une fois montée dans sa chambre, elle ferma à double tour puis se débarassa de sa cape, qu'elle posa négligemment sur une chaise, avant de s'étirer telle une panthère.

Elle s'accorda quelques heures de sommeil, puis se réveilla au moment où le dernier rayon de soleil disparaissait, et qu'Hurlevent s'endormait. Se laissant le temps d'aiguiser ses lames, et d'y verser quelques gouttes d'un étrange liquide verdâtre, la Lame d'Aviana acheva de se préparer. Elle couvrit le bas de son visage d'un masque de tissu noir, délaissant sa cape, et refit sa queue de cheval afin de s'assurer de ne pas être dérangée par sa chevelure. Attachant un carquois léger à sa ceinture, elle glissa un arc en bois de frêne dans un étui de cuir prévu à cet effet, attaché dans son dos. Puis elle s'empara d'une corde qu'elle attacha à sa ceinture, roulée avec soin.

Ouvrant la fenêtre de sa chambre après avoir soufflé toute bougie, elle s'éclipsa, passant par les toits.

Son objectif était clair, net et précis : les bureaux du SI:7.

La silhouette de l'elfe sembla se troubler un instant, tandis qu'elle s'élançait sur les toits dans un sprint impressionnant de rapidité, et sans jamais perdre l'équilibre. En un saut pour le moins acrobatique, elle rejoignit un autre toit, et renouvela son manège, jusqu'à arriver à l'approche du bâtiment cible.

Détachant la corde de sa ceinture, elle tira une flèche hors de son carquois, puis noua soigneusement le cordage à l'extrêmité du projectile. Puis elle sortit son arc et le banda après avoir encoché la flèche.

Le sifflement fut presque imperceptible, tandis que la flèche fila jusqu'à se ficher dans une poutre apparente du bâtiment. Attachant avec soin l'autre bout de la corde à une cheminée, l'elfe se lança alors dans un numéro de funambule à en arracher des frissons à un ogre. Pas étonnant en même temps, un ogre en serait incapable...

Marchant à pas félins sur la corde tendue, elle mit un peu moins d'une minute à atteindre l'extérieur du bâtiment du SI:7. Puis, descendant avec soin sur le rebord d'une fenêtre juste au dessous, elle en poussa les battants et pénétra dans la bâtisse. Tout était sombre, silencieux. Elle se fondit dans les ombres afin d'assurer ses arrières, quand soudain...

"Pas bouger ma belle, pas bouger ! Au moindre mouvement, tu es fichue !"

Elle s'immobilisa, tandis que dans son dos un rire sournois de gobelin s'élevait. Renzik le Kriss, bras droit de Mathias Shaw, appuyait sa dague dans le bas du dos de l'elfe pour la tenir en respect.

"Du calme, Renzik !
- Uh ? Ah ! Yo patron !"

Appuyé négligemment dans le cadre de la porte, les bras croisés, Mathias Shaw observait l'elfe et le gobelin.

"Range ton arme, Renzik... je m'occupe du reste.
- Comme vous voulez. Je redescends à la cave, j'ai des informations à soutirer."

Adressant un signe de la tête au Kriss, Mathias Shaw s'approcha de la Lame d'Aviana, qui eut un mouvement de recul maintenant que le gobelin s'était retiré. Elle semblait prête à bondir à tout instant...

"Du calme, Aile-Sombre. Je vous attendais. La Dame Tyrande Murmevent m'a fait parvenir un pli concernant votre venue.
- Tyrande... évidemment."

L'elfe soupira.

"Félicitations en tout cas... rares sont ceux qui arrivent à aller aussi loin dans leur intrusion. En général, ils sont abattus avant même de passer la fenêtre. Ou peut-être que le Kriss a voulu jouer avec vous, qui sait...
- Merci pour le compliment..."

La voleuse se détendit.

"Je crois que nous avons à discuter, mmh ?
- En effet, Aile-Sombre. Nous avons une longue discussion à avoir. Asseyez-vous, je vous prie..."